Depuis quelques années, une tendance se renforce dans la haute administration gabonaise : la nomination de directeurs généraux issus du secteur privé à la tête des organismes publics. Présentés comme des réformateurs capables d’apporter rigueur et performance, ces profils incarnent une vision moderniste de la gouvernance. Mais derrière cette promesse de renouveau, une réalité préoccupante se dessine : la marginalisation progressive des fonctionnaires de carrière.

En effet, ces nominations se traduisent souvent par la mise à l’écart des agents publics au profit de collaborateurs venus de réseaux privés, parfois recrutés sans concours ni véritable expérience institutionnelle. Cette méthode, désormais bien connue, fragilise les institutions : marginalisation des agents dans les organigrammes, remise à disposition forcée auprès de leurs administrations d’origine, et recrutement de profils extérieurs choisis plus pour leur proximité que pour leurs compétences.
Le problème est double. D’une part, nombre de ces nouveaux responsables privés sont d’anciens cadres en rupture professionnelle, parfois remerciés pour incompétence ou mauvaise moralité. Leur nomination apparaît alors comme une bouée de sauvetage politique, au détriment de l’intérêt général. D’autre part, les fonctionnaires écartés se retrouvent sans affectation claire, privés de perspectives de carrière, ce qui démobilise et affaiblit durablement le service public.
Derrière cette situation se cache une tension silencieuse mais réelle : une rivalité entre cadres privés et agents publics. Certains nouveaux dirigeants expriment une rancœur ouverte : « Après la nomination, nous repartons au chômage, contrairement aux fonctionnaires qui eux, gardent toujours un salaire. » Ce ressentiment alimente une gestion vindicative où la réforme se transforme en règlement de comptes, accentuant la fracture au lieu de construire des synergies.
Il devient urgent de repenser ces pratiques. Le secteur privé peut enrichir l’administration, mais il ne doit pas devenir un outil de clientélisme. Le fonctionnaire n’est pas un frein au changement, mais un acteur clé de la transformation publique. Le mépriser revient à affaiblir l’État, et le remplacer sans discernement compromet la légitimité des institutions.
La modernisation doit être une alliance entre innovation et mémoire, efficacité et équité. Pour bâtir un service public résilient et inclusif, il faut d’abord reconnaître le rôle stratégique du fonctionnaire dans la consolidation d’un État fort et juste.
Par Blaise EDIMO

